Un atelier au cœur de Brazzaville
Dans un hôtel discret de la capitale congolaise, le brouhaha matinal laisse place à une attention presque studieuse. Autour de la table, juristes de l’Observatoire congolais des droits de l’homme, experts du Forest Peoples Programme, représentants autochtones de la Lékoumou et de la Sangha, mais aussi quelques fonctionnaires du ministère des Affaires foncières, auscultent minutieusement chaque virgule du futur décret sur la sécurisation des droits fonciers coutumiers. L’atelier, ouvert le 26 juin, se veut un carrefour où convergent résultats de recherches universitaires, comptes rendus de consultations villageoises et recommandations issues des normes internationales. Le gouvernement, discret mais présent, observe et prend note : le texte devra être politiquement digeste, juridiquement robuste et diplomatiquement présentable.
Une bataille juridique de longue haleine
Au Congo-Brazzaville, la question foncière est un palimpseste où se superposent héritage colonial, législations post-indépendance et usages coutumiers. Jusqu’ici, la loi de 2004 sur le domaine national reconnaissait de manière timide les droits des communautés locales, sans leur offrir une sécurité juridique effective. Les litiges se multiplient avec l’arrivée d’investisseurs agro-industriels ou miniers, souvent détenteurs de concessions attribuées à l’issue de négociations opaques. « Nous plaidons pour que les terres ancestrales cessent d’être perçues comme un no man’s land administratif », soupire un chef baka venu de la Sangha. L’enjeu dépasse la simple possession : il touche à l’identité, à la transmission culturelle et à la souveraineté alimentaire.
La diplomatie du carbone et des forêts
Depuis l’Accord de Paris, le bassin du Congo est régulièrement présenté comme un poumon stratégique pour l’atténuation climatique mondiale. Brazzaville en a fait un argument de poids dans ses négociations bilatérales, notamment avec l’Union européenne et la Banque mondiale, qui conditionnent leurs financements à la protection des populations autochtones et à la réduction de la déforestation. Or, sécuriser légalement les terres coutumières constitue un préalable à tout mécanisme REDD+. Sans cette garantie, les autorités s’exposent à un risque de “green grabbing” dénoncé par de nombreuses ONG, c’est-à-dire l’appropriation d’espaces forestiers au nom de la lutte contre le changement climatique mais au détriment des ayants droit historiques.
Les peuples autochtones réclament leur place
Longtemps confinés à la marge des processus décisionnels, les peuples autochtones congolais font entendre une voix plus assurée depuis l’adoption de la loi de 2011 qui leur est spécifiquement consacrée. « La reconnaissance sans la sécurisation foncière est un trompe-l’œil », prévient une militante téké. Les délégués exigent l’intégration explicite du principe de consentement libre, informé et préalable, consacré par la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la Convention 169 de l’OIT. Ils insistent aussi pour que les mécanismes de délimitation reflètent la réalité itinérante ou semi-nomade de certains clans, sous peine de voir la carte administrative figer des identités mouvantes.
Entre standards internationaux et réalités locales
L’écriture d’un décret est un exercice d’équilibriste. Trop aligné sur les instruments juridiques internationaux, il risquerait de heurter une administration habituée à la centralisation jacobine héritée de la période coloniale. Trop ancré dans la seule coutume, il se heurterait à la frilosité des partenaires financiers attentifs aux indicateurs de gouvernance. Les juristes s’efforcent donc d’introduire un double verrou : reconnaissance collective inaliénable des terres communautaires, assortie d’une procédure de cession ou de location qui nécessite l’accord d’au moins deux tiers des membres majeurs de la communauté. Une telle clause, avancée par certains experts de la Banque africaine de développement, limiterait les dérives clientélistes tout en préservant l’esprit communautaire.
Perspectives d’une gouvernance inclusive
La rédaction finale devrait parvenir sur le bureau du Premier ministre d’ici la fin de l’année, selon une source proche du dossier. Son adoption dépendra toutefois de la capacité du gouvernement à arbitrer entre diverses pressions : appétit des élites économiques nationales, attentes des bailleurs, sensibilité des diplomaties occidentales aux questions de droits humains. « Le défi sera de ne pas produire un décret de papier », avertit un diplomate européen en poste à Brazzaville. Les organisations de la société civile, fortes du réseau panafricain dont elles font désormais partie, promettent un suivi serré de la mise en œuvre. Si le texte conserve l’ambition actuelle, le Congo pourrait se positionner comme un laboratoire régional de sécurisation foncière, envoyant un signal clair aux voisins d’Afrique centrale encore hésitants. Dans le cas contraire, la marginalisation persistante des peuples autochtones continuerait d’alimenter le cycle de contestations et de méfiance, au risque d’entamer la crédibilité internationale du pays.