La ruée stratégique vers les terres rares africaines
Depuis la fin de l’année 2023, la diplomatie économique indienne s’est lancée dans une véritable course contre la montre pour diversifier ses approvisionnements en éléments de terres rares. De Lusaka à Abidjan, cinq protocoles d’entente ont été signés en quelques mois avec la Zambie, le Zimbabwe, le Mozambique, le Malawi et la Côte d’Ivoire. Pour New Delhi, il s’agit de réduire une dépendance devenue structurelle à l’égard de Pékin, qui contrôle plus de 90 % du raffinage mondial et a récemment restreint ses exportations de gallium, germanium et autres métaux critiques.
Cette accélération traduit une prise de conscience stratégique : sans terres rares, la transition énergétique, l’électronique grand public et les programmes de défense indiens resteraient otages d’un acteur unique. Or, dans le sillage des États-Unis et de l’Union européenne, l’Inde entend se positionner comme « puissance pivot » d’un arc indo-africain des matières premières critiques, capable d’offrir à ses partenaires des débouchés industriels et non plus de simples contrats d’extraction.
Un modèle de coopération orienté valeur ajoutée
Le ministre d’État indien chargé de l’Énergie atomique, Jitendra Singh, affirme que ces nouveaux accords « placent la recherche, l’innovation et la transformation locale au cœur du dispositif ». Concrètement, des laboratoires conjoints sont prévus dans les capitales partenaires afin de tester des procédés d’hydrométallurgie moins consommateurs en eau et en réactifs chimiques, répondant ainsi aux exigences environnementales croissantes (Ministère indien de l’Énergie atomique, 2024).
En s’écartant du schéma historiquement extractif, l’Inde propose de financer des centres de formation en géosciences appliquées, d’installer des chaines pilotes de séparation d’oxydes de terres rares et de faciliter l’accès aux marchés asiatiques via le port de Chennai. Cette approche « co-localisée » se veut, selon les diplomates indiens, un contre-modèle à la dépendance exclusive vis-à-vis d’une puissance tierce.
Le Congo-Brazzaville, maillon discret mais décisif
Parallèlement à la quête de néodyme ou de praséodyme, la société publique NLC India Ltd explore au nord-ouest du Congo-Brazzaville un corridor cuprifère et cobaltifère dont les premières estimations font état d’un potentiel d’un million de tonnes de minerais critiques sur cinq ans. Les équipes géologiques, opérant en étroite coordination avec les autorités congolaises, soulignent le climat d’affaires apaisé et la stabilité institutionnelle qui prévalent à Brazzaville, deux éléments jugés déterminants pour sécuriser les investissements de long terme.
Le gouvernement congolais, de son côté, voit dans cette arrivée une opportunité de consolider sa stratégie de diversification économique, tout en s’inscrivant dans les objectifs de développement durable fixés par la Commission économique pour l’Afrique. Les premiers projets incluent la modernisation d’infrastructures routières reliant les gisements au port de Pointe-Noire et la mise en place d’un institut régional de métallurgie avancée, susceptible d’attirer des étudiants de toute la sous-région.
Rééquilibrage géopolitique et diplomatie des minéraux
Sur l’échiquier global, l’initiative indienne converge avec le paradigme « China Plus One », concept adopté aussi bien par Tokyo que par Washington pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement sensibles. En misant sur des partenariats Sud-Sud, New Delhi se place en interlocuteur privilégié des capitales africaines, tout en évitant l’écueil d’une confrontation frontale avec Pékin. Plusieurs analystes estiment qu’une triangulation Inde-Afrique-Occident pourrait émerger, où le continent jouerait un rôle de plateforme industrielle intermédiaire, plutôt qu’un simple réservoir de ressources brutes.
Au-delà des discours géostratégiques, l’Afrique y gagne un nouveau levier de négociation, susceptible de faire monter la valeur ajoutée locale et d’accélérer son industrialisation. Les responsables de la Banque africaine de développement rappellent toutefois que la réussite dépendra de la montée en compétence des cadres nationaux et de la stabilité réglementaire, conditions sine qua non pour rassurer les bailleurs privés.
Défis opérationnels et horizon de gouvernance partagée
Les obstacles ne manquent pas : infrastructures parfois déficientes, besoins financiers colossaux, fluctuations des cours des métaux critiques ou encore coexistence de juridictions minières hétérogènes. Toutefois, l’Inde mise sur une diplomatie de l’ingénierie et sur des financements concessionnels adossés à l’Export-Import Bank of India pour diluer les risques et instaurer des mécanismes de partage de revenus équitables.
Dans ce paysage évolutif, le Congo-Brazzaville se présente comme un cas d’école. Les autorités congolaises élaborent actuellement un code minier révisé, axé sur la transparence contractuelle et la protection des communautés locales. En conjuguant fiabilité institutionnelle et richesse géologique, Brazzaville aspire à devenir l’un des hubs continentaux de l’économie des minéraux stratégiques, tout en renforçant ses partenariats avec l’Inde et d’autres acteurs multilatéraux.