De la pédagogie à la coercition réglementaire
Réunis dans l’enceinte de la mairie de Moungali, les acteurs du transfert de fonds ont entendu un message clair : la phase d’accompagnement est révolue. Le directeur général de l’Agence de régulation des transferts de fonds, Basile Jean Claude Bazebi, a déclaré que « la clémence pédagogique a atteint ses limites », marquant ainsi une transition stratégique vers un régime de contrôle plus strict. Créée en 2012 dans le sillage des réformes financières impulsées par les autorités congolaises, l’ARTF s’était d’abord concentrée sur la vulgarisation des règles, consciente de la relative nouveauté de ce secteur dans un pays où les canaux informels canalisent encore une part importante des flux monétaires.
L’arsenal répressif de la loi de finances 2025
Le cadre légal fraîchement consolidé par la loi de finances 2025 introduit un éventail de sanctions graduées. Concrètement, l’agent non enregistré exerçant sans autorisation s’expose désormais à vingt millions de francs CFA d’amende, tandis que l’opérateur qualifié de clandestin encourt cinquante millions. Les fraudes documentaires ou l’omission délibérée d’informations exactes sont également tarifées, respectivement à quarante et cinquante millions. À ces pénalités s’ajoutent la fermeture administrative du point de service et la saisie des fonds litigieux, sans préjudice des poursuites pénales. Autrement dit, l’État articule dorénavant la dissuasion financière à la responsabilité pénale, illustrant une volonté d’étanchéifier un secteur longtemps perçu comme poreux.
Une fiscalité stratégique pour la mobilisation interne
En filigrane, il s’agit d’élargir l’assiette fiscale nationale, cible prioritaire du Plan national de développement 2022-2026. Les opérateurs hors-cadre échappaient jusqu’ici à toute contribution, créant ce que les économistes qualifient de « trou noir fiscal ». Désormais, en se faisant enregistrer, les acteurs devront non seulement payer des taxes, mais aussi adopter des procédures de conformité en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. L’ARTF ambitionne ainsi de transformer des segments informels en relais officiels de collecte, dans une logique de responsabilisation partagée. Pour le directeur de cabinet de la mairie de Moungali, Jean Valère Boumba, « la transparence des flux financiers est un adjuvant incontournable de la gouvernance locale ; elle conditionne la soutenabilité de nos politiques publiques ».
Impacts attendus sur l’inclusion financière nationale
Le resserrement du contrôle n’est pas synonyme de fermeture des canaux. Au contraire, l’ARTF encourage l’entrée des acteurs dans la légalité afin d’améliorer l’accès des ménages aux services financiers formels. Les institutions de microfinance, déjà interlocutrices privilégiées des populations à faible revenu, bénéficieront d’un environnement assaini, propice à l’innovation numérique et à la confiance des usagers. Selon les estimations de la Banque centrale du Congo, plus de 45 % des transactions domestiques demeurent encore informelles ; la régulation pourrait ainsi hisser le taux de bancarisation de 26 à 35 % à l’horizon 2027. Le président du Conseil supérieur islamique du Congo, Youssouf Ngolo, souligne pour sa part la dimension sociale de la démarche : « Sécuriser les transferts, c’est garantir que l’épargne de la diaspora irrigue l’économie réelle plutôt que des circuits opaques ».
Cap vers 2027 : la régulation comme levier de développement
L’Agence affiche une feuille de route ambitieuse : devenir, d’ici deux ans, un véritable vecteur de mobilisation des ressources domestiques. La perspective s’inscrit dans la doctrine gouvernementale de diversification économique, laquelle mise sur la numérisation des services financiers pour réduire la dépendance aux rentes extractives. En mobilisant l’ensemble des services étatiques — douanes, gendarmerie, directions générales des impôts et du trésor —, l’ARTF démontre la mise en cohérence des bras opérationnels de l’État autour d’un objectif commun : sécuriser, formaliser et valoriser les flux financiers. Les partenaires techniques, notamment la Banque africaine de développement, observent cette dynamique avec intérêt, y voyant un préalable à l’amélioration de la notation souveraine du Congo.
Entre responsabilisation et confiance retrouvée
Le virage répressif amorcé ne saurait être interprété comme un simple instrument de contrainte. Il répond à une dialectique bien connue des sociologues de la régulation : légitimité de l’État et acceptabilité sociale des normes s’entretiennent mutuellement. En offrant un délai de deux ans de sensibilisation, les autorités ont privilégié la persuasion. La phase coercitive, aujourd’hui lancée, vise désormais à mettre fin à l’asymétrie concurrentielle entre opérateurs déclarés et clandestins. En retour, la transparence accrue devrait renforcer la confiance des usagers, condition sine qua non pour convertir l’économie de subsistance monétaire en économie de services financiers structurés. Le processus n’est pas exempt de défis, mais il illustre la montée en puissance d’une gouvernance économique plus résolue.