Enjeux d’une transparence rénovée
Réunies dans une salle feutrée du ministère des Finances à Brazzaville, une trentaine de directeurs généraux d’entreprises publiques ont découvert un mot d’ordre simple : partager leurs chiffres ou compromettre la modernisation budgétaire du pays.
L’atelier, organisé le week-end dernier, sonnait comme un rappel à l’ordre alors que la gestion du portefeuille public exige désormais une transparence proche des standards internationaux, condition express d’un financement durable.
Sous le thème « Importance des données financières des EEPS dans la gestion de la dette et du portefeuille public », les interventions ont créé une convergence rare entre économistes, informaticiens et gestionnaires.
Vers une plateforme numérique unifiée
Pour lever les obstacles déclarés, le ministère prépare une plateforme numérique qui centralisera les documents comptables, bilans et rapports d’exécution, en éliminant les déplacements chronophages et les doublons de formulaires.
Des tests internes sont déjà menés avec la Caisse congolaise d’amortissement, pilote du projet. L’interface, décrite comme intuitive, devrait fonctionner même avec une connexion Internet de débit moyen, réalité fréquente hors des grands centres urbains.
« Nous voulons que chaque directeur financier puisse charger ses données depuis son bureau provincial, sans courrier ni clé USB », insiste Marie-Ghislain Yebas Mandelo, convaincu que la fiabilité naît de la rapidité de transmission.
Des statistiques pour piloter la dette publique
Le gouvernement veut disposer d’un tableau exhaustif des engagements directs et indirects des entreprises d’État, condition nécessaire à la gestion proactive de la dette souveraine.
Aujourd’hui, certaines dettes contractées auprès de fournisseurs ou d’institutions multilatérales échappent encore aux circuits classiques de déclaration, créant une zone grise qui complique les projections budgétaires à moyen terme.
En consolidant ces chiffres, la direction générale du Portefeuille public ambitionne de se conformer aux recommandations du FMI et de la Banque mondiale, gages d’attractivité pour les investisseurs.
Responsabilité des dirigeants d’entreprises d’État
La directrice générale du Portefeuille public, Karine Emma N’Guesso Mouandé, rappelle que la qualité des données reflète la qualité de la gouvernance : « Chaque ligne comptable engage la crédibilité de la maison ».
Pour les responsables présents, l’exercice n’est plus facultatif. Les statuts révisés de plusieurs sociétés prévoient désormais des sanctions, allant de la mise sous tutelle temporaire à l’inéligibilité aux renouvellements de mandats, en cas de défaut persistant de reporting.
Paul Malié, directeur de cabinet du ministre des Finances, insiste sur le principe de responsabilité partagée : le système fournira l’outil, mais la rigueur restera humaine.
Prochaines étapes et attentes des partenaires
Une session privée réunira sous peu les membres du comité scientifique, chargés de fixer un calendrier de déploiement et de définir les standards comptables harmonisés avec les directives de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale.
Les bailleurs de fonds suivent le processus avec attention. Dans plusieurs projets d’infrastructures, ils exigent déjà un reporting trimestriel permettant de détecter toute dérive de coûts.
En interne, le ministère voit également une opportunité de formation continue : agents comptables et auditeurs bénéficieront d’ateliers pratiques pour se familiariser avec les nouveaux formulaires et les contrôles de cohérence automatisés.
À l’heure où plusieurs États africains réorganisent la gestion de leurs entreprises stratégiques, cette initiative, saluée pour son pragmatisme, pourrait placer la République du Congo parmi les pionniers régionaux du reporting public numérique.
Impact attendu sur l’investissement et la notation
Pour les agences de notation, la disponibilité d’indicateurs consolidés facilitera l’évaluation du risque souverain et, à terme, la révision potentielle de la perspective attribuée au Congo-Brazzaville.
Les analystes d’Africabourse rappellent qu’une meilleure transparence peut réduire le coût de refinancement des entreprises parapubliques, dont plusieurs envisagent d’émettre des obligations domestiques pour moderniser leurs équipements.
Une base de données fiable rassurerait également les partenaires techniques qui accompagnent la diversification économique, notamment dans les mines, l’agro-industrie et le numérique, trois secteurs prioritaires du Plan national de développement.
Défis logistiques et sécuritaires
La réussite de l’initiative dépendra aussi de la capacité à sécuriser les flux de données. Le gouvernement envisage un hébergement redondant à Brazzaville et Pointe-Noire, assorti d’un protocole de chiffrement validé par l’Agence nationale de cybersécurité.
En zone rurale, la connexion va rester le premier talon d’Achille. Les opérateurs télécoms, sollicités, testent une solution de transmission compressée permettant de charger un rapport financier en moins de cinq minutes sur un réseau 3G.
Le ministère promet par ailleurs un numéro d’assistance opérationnel 24 h/24 pour guider les équipes locales lors des premières déclarations trimestrielles.
Un jalon vers la modernisation budgétaire
Au-delà de la technique, l’opération marque une évolution culturelle : pendant longtemps, certains gestionnaires entretenaient le secret autour de leurs résultats, perçus comme un moyen de négociation avec le Trésor.
La nouvelle génération de cadres, formée dans les grandes écoles africaines et européennes, semble déterminée à rompre avec cette habitude en mettant l’information au service de la performance et non d’intérêts personnels.
« Partager des données n’affaiblit pas l’autorité, cela l’appuie », confie un directeur général sous couvert d’anonymat, convaincu que le reporting ouvrira aussi la porte à des primes indexées sur les indicateurs de rentabilité.