Un chantier prioritaire pour la soutenabilité budgétaire
Réunis à Brazzaville, responsables du ministère des Finances et dirigeants d’entreprises publiques ont posé, le 19 septembre, la première pierre d’un dispositif inédit de traçabilité financière destiné à éclairer de façon exhaustive le tableau des finances publiques de la République du Congo.
Cette rencontre inaugurale, présidée par le directeur de cabinet Paul Malié, marque le coup d’envoi d’une collecte systématique des bilans, plans d’affaires et calendriers de dettes des sociétés d’État, jusqu’ici absents des rapports budgétaires transmis aux partenaires techniques et aux citoyens.
Un déficit statistique enfin comblé
Depuis une dizaine d’années, le Congo-Brazzaville publie régulièrement les comptes de l’État central, des collectivités locales et des caisses de sécurité sociale. Il manquait cependant la vision consolidée des entreprises publiques, segment majeur pour juger des engagements hors budget.
En l’absence de ces chiffres, les autorités reconnaissaient « un angle mort critique », incapable d’estimer l’exposition du Trésor face aux dettes contractées par les sociétés parapubliques, parfois garanties implicitement par l’État, selon le constat dressé par Paul Malié devant les participants.
Atouts pour les entreprises publiques
Pour les dirigeants d’entreprises publiques, la nouvelle exigence n’est pas qu’un devoir réglementaire ; elle ouvre la voie à une évaluation objective de leurs performances, préalable à l’obtention de financements compétitifs et à la mise en place de plans de redressement ciblés.
« Lorsque nos états financiers seront à jour, nous pourrons dialoguer d’égal à égal avec les banques », confie un responsable d’une société minière, voyant dans ce reporting un pas décisif vers la modernisation de la gouvernance et la maîtrise des coûts d’exploitation.
Gouvernance et confiance retrouvées
La directrice générale du portefeuille public, Karine Emma Nguesso Mouandé, insiste sur la dimension éthique de la démarche : la transparence nourrit la confiance des citoyens, condition sine qua non pour attirer l’investissement et renforcer la crédibilité de la stratégie de développement portée par le gouvernement.
Les organismes internationaux, y compris les partenaires au développement, soulignent régulièrement ce lien entre publication d’informations et qualité de la gouvernance. Le Congo-Brazzaville s’inscrit ainsi dans un mouvement continental qui valorise la reddition des comptes comme levier de souveraineté.
Une dynamique de réforme déjà enclenchée
L’atelier intervient quelques mois après l’adoption par le gouvernement d’un programme de réforme centré sur la transparence et la publication élargie de la dette publique. Dans cette feuille de route, DPP et CCA sont appelées à mutualiser leurs outils de suivi.
Concrètement, un formulaire standardisé, assorti d’un calendrier de transmission trimestriel, sera déployé dans chaque entreprise d’État. Ces informations seront centralisées au ministère des Finances avant d’être intégrées dans la plateforme statistique nationale.
Les prochaines étapes et défis opérationnels
Le succès du dispositif dépendra toutefois de la qualité des systèmes comptables internes, souvent hétérogènes d’une entité à l’autre. Un programme de renforcement des capacités, financé sur budget national, prévoit des sessions de formation et l’installation de logiciels harmonisés.
Autre défi, la culture du secret demeure tenace dans certains secteurs stratégiques, où la divulgation de données est parfois perçue comme une menace concurrentielle. Le ministère plaide pour un équilibre entre transparence et protection d’informations sensibles.
Regard d’experts et de dirigeants
Pour l’économiste Jean-Michel Oko, la démarche constitue « une assurance-vie budgétaire », capable de signaler en amont toute dérive de trésorerie et de limiter les appels extraordinairement coûteux au soutien de l’État.
Du côté des partenaires techniques, la Banque mondiale rappelle que l’intégration des entreprises publiques dans le périmètre statistique est un des piliers des normes dites GFSM, gages d’une gestion des risques plus cohérente.
Les syndicats de travailleurs, eux, espèrent que la transparence permettra d’anticiper les tensions de trésorerie qui se traduisent souvent par des retards de salaires, sans remettre en cause la compétitivité des sociétés.
Un enjeu national de compétitivité
En alignant ses pratiques sur les standards internationaux, le Congo-Brazzaville ambitionne d’améliorer son profil de crédit et de réduire le coût futur de ses emprunts souverains et parapublics. Une meilleure notation profiterait également au secteur privé national.
Le ministère des Finances mise enfin sur cette base de données centralisée pour alimenter la réflexion sur la stratégie de diversification économique, priorité inscrite dans le Plan national de développement, afin de créer plus d’emplois et augmenter durablement les recettes non pétrolières.
Vers une culture de la performance
Au-delà de la publication de chiffres, la réforme cherche à instaurer une culture de la performance, fondée sur des indicateurs clairs de rentabilité, de productivité et d’impact social. Chaque dirigeant sera évalué sur la réalisation d’objectifs trimestriels précis et publics.
Selon la DGPP, les premiers rapports attendus début 2024 permettront de dresser un tableau comparatif sectoriel, base d’une politique de réinvestissement mieux ciblée et d’un appui sélectif aux entreprises présentant un potentiel stratégique ou un rôle social déterminant pour l’État.
Perspectives régionales
En promouvant cette transparence, Brazzaville souhaite également servir de référence au sein de la CEMAC, où plusieurs États envisagent des initiatives similaires afin de fiabiliser leurs tableaux de bord et de soutenir la convergence voulue par la Banque des États.