Le parcours invisible des bêtes
Dans un pays où la demande de viande progresse avec l’urbanisation, le trajet des animaux d’élevage reste largement invisible. Des plateaux du Niari aux étals de Brazzaville, le transport routier constitue l’artère vitale d’une filière stratégique pour la sécurité alimentaire nationale.
Pourtant, les images de bétail attaché par les cornes ou couché sur des planches métalliques révèlent des pratiques encore éloignées des standards internationaux de bien-être animal. Leur diffusion alimente le débat public sans remettre en cause l’attachement des Congolais à une viande accessible et saine.
Entre impératifs économiques, contraintes géographiques et régulation progressive, le Congo-Brazzaville cherche un équilibre. Les autorités reconnaissent la nécessité de moderniser les chaînes de transport tout en tenant compte des réalités budgétaires des petits transporteurs, majoritaires dans ce secteur éclaté.
Réglementation en évolution
Le code congolais d’élevage, révisé en 2020, impose que chaque animal dispose d’espace suffisant et d’eau à intervalles réguliers. Le ministère de l’Agriculture a précisé, par circulaire, les durées maximales de trajet autorisées et les dispositifs d’attache tolérés.
Ces textes s’inspirent en partie de la réglementation de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, de manière à harmoniser les pratiques sur les corridors routiers transfrontaliers. Leur application repose cependant sur la capacité de contrôle des vétérinaires des postes mobiles.
Selon la Direction générale des services vétérinaires, cent quarante contrôles itinérants ont été effectués en 2023, soit deux fois plus qu’en 2019. « Nous progressons, mais nous devons encore former les chauffeurs », admet le directeur, Charles Mavoungou, plaidant pour un partenariat renforcé avec les organisations professionnelles.
Contraintes logistiques actuelles
La topographie du pays complique la tâche des transporteurs. Entre Pointe-Noire et Brazzaville, la Nationale 1 traverse des zones de savane puis de forêt où les points d’eau restent rares. Les arrêts indispensables à l’abreuvement rallongent un trajet déjà soumis aux caprices climatiques.
Faute de camions spécifiquement aménagés, beaucoup utilisent d’anciens porteurs de fret général. L’absence de cloisons ajustables limite la ventilation et augmente le risque de blessures. Les chauffeurs, rémunérés à la distance, reconnaissent devoir rouler vite pour maintenir une marge rentable.
Cette précarité technique affecte aussi la qualité sanitaire des carcasses. Des études menées par l’Institut national de recherche agronomique montrent que le stress avant abattage augmente la libération d’acide lactique, rendant la viande moins tendre et diminuant sa durée de conservation.
Dimensions économiques et sociales
Le transport représente jusqu’à vingt pour cent du coût final d’un animal vivant. Réduire les pertes liées au stress pourrait améliorer le revenu des éleveurs et stabiliser les prix au consommateur. Les coopératives d’éleveurs de la Bouenza réclament ainsi des abattoirs de proximité.
L’État explore différentes pistes de financement, dont un projet de crédit-bail pour camions adaptés, assorti d’une exonération douanière sur les équipements de cage mobile. « Investir dans le bien-être animal n’est pas un luxe, c’est une productivité accrue », souligne le ministre délégué aux Finances, Ludovic Itoua.
Pour les consommateurs urbains, la question dépasse l’éthique : une viande mieux traitée durant le transport présente moins de résidus microbiens, argument avancé par les nutritionnistes du Centre hospitalier universitaire de Brazzaville. Cette dimension sanitaire trouve un écho fort depuis les récentes alertes zoonotiques régionales.
Initiatives pour la modernisation
Des progrès concrets émergent. À Dolisie, une start-up a inauguré un prototype de box en fibre composite réfrigérée, alimentée par panneaux solaires. Le dispositif, testé sur cent kilomètres, a réduit la mortalité en transit de soixante pour cent, selon les données partagées avec l’université Marien-Ngouabi.
De leur côté, les ONG locales multiplient les ateliers de sensibilisation auprès des chauffeurs et brigades routières. L’association Espoir Animal a formé trois cents acteurs en deux ans sur les manipulations sécurisées et la reconnaissance des signes de détresse, en collaboration avec la gendarmerie.
Le gouvernement mise aussi sur la digitalisation : un registre électronique, actuellement en phase pilote, doit tracer chaque convoi grâce à un QR code scanné aux points de contrôle. L’objectif est de faciliter la statistique, détecter les retards et alerter automatiquement les vétérinaires territoriaux.
Vers une chaîne responsable
Parce qu’il articule santé publique, économie et empathie à l’égard du vivant, le transport animalier représente un laboratoire de modernisation pour le Congo. Les convergences entre action publique, innovation privée et demande citoyenne laissent entrevoir une chaîne d’approvisionnement plus responsable, capable de répondre aux défis alimentaires de demain.
Les partenaires techniques et financiers, notamment la Banque africaine de développement, étudient déjà un schéma de corridor vert reliant les zones d’élevage du Kouilou aux principaux abattoirs urbains. Le programme inclurait des aires de repos normalisées, financées via un mécanisme public-privé, pourvu de citernes et d’ombrières.
À terme, l’ambition est claire : garantir à chaque citoyen une viande sûre tout en préservant la dignité animale. Concilier ces impératifs consolidera la réputation agroalimentaire congolaise et ouvrira, espèrent les exportateurs, de nouveaux débouchés sous-régionaux.