Un marché bancaire en quête d’oxygène
Dans la chronique économique de Bangui, l’on ne compte aujourd’hui que quatre enseignes bancaires. Cette concentration, héritage d’une histoire politique heurtée, contraint l’accès au crédit et freine la bancarisation de faits pourtant salués par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) : l’encours des prêts a progressé de 26,47 % au troisième trimestre 2024. Ce bond, aussi notable soit-il, découle en grande partie d’initiatives sporadiques des établissements déjà présents, sans pour autant modifier la structure d’un marché demeurant exigu.
UBA, un acteur panafricain en stratégie d’expansion
Fondé à Lagos au lendemain des indépendances, United Bank for Africa n’est plus ce seul bras financier de la première économie d’Afrique. Fort d’une présence dans vingt pays et d’un portefeuille transatlantique, le groupe mené par l’entrepreneur Tony Elumelu se positionne comme l’archétype de la banque globale du Sud. « Notre ambition n’est pas de déplacer les banques locales, mais de compléter leurs offres en capitalisant sur les synergies régionales », confie un membre de son comité exécutif rencontré à Bangui. Après le Cameroun, le Tchad, le Congo-Brazzaville et le Gabon, la Centrafrique deviendrait la cinquième pierre de l’édifice CEMAC du groupe.
Faciliter le financement des PME, nerf de l’économie réelle
Dans l’économie centrafricaine, les petites et moyennes entreprises génèrent près de 80 % de l’emploi formel, mais n’absorbent encore que 13,90 % des volumes de crédit. Les analystes y voient le principal paradoxe d’un pays où l’esprit entrepreneurial déborde malgré l’étroitesse de l’offre de financement. L’arrivée d’UBA pourrait bousculer cet équilibre en introduisant des produits à guichet spécifique dédiés aux start-ups et aux coopératives rurales. « Nous avons observé à Brazzaville une réduction de près de deux points du taux moyen débiteur appliqué aux jeunes entreprises en trois ans d’activité d’UBA sur le marché », rappelle le consultant congolais Emmanuel Bembé, signe que le modèle panafricain peut être adaptable sans heurt aux écosystèmes voisins.
La dynamique sous-régionale : un cadre stabilisant
Le socle commun de la réglementation CEMAC, articulé autour d’une politique monétaire unifiée, constitue une garantie appréciée des investisseurs. La solidité du franc CFA, adossé à l’euro, rassure sur la gestion des risques de change tandis que les directives prudentielles harmonisées renforcent la résilience des bilans bancaires. Dans ce contexte normatif, la venue d’UBA s’apparente moins à une aventure qu’à la consolidation d’un corridor financier déjà balisé, dont les retombées pourraient irriguer les corridors logistiques, de Pointe-Noire à Douala, en passant par Bangui.
Synergies attendues avec la Tony Elumelu Foundation
La fondation éponyme de Tony Elumelu a déjà formé plus de 24 000 jeunes entrepreneurs africains, dont vingt-trois originaires de Centrafrique. Elle propose un accompagnement mêlant formation en ligne, mentorat et capital-semence de 5 000 dollars. En disposant d’une filiale de la banque fondatrice à Bangui, le processus de décaissement des subventions et de suivi des business plans gagnerait en fluidité. « Avoir un guichet local simplifiera la chaîne de valeur du financement, de l’approbation à la mise en œuvre », souligne Marie-Thérèse Mako, bénéficiaire centrafricaine du programme 2023, aujourd’hui à la tête d’un atelier de transformation de produits agricoles.
Un pari sur la jeunesse et le digital
UBA déploie un modèle où la banque de détail repose sur des solutions dématérialisées à faible coût d’entrée, fondées sur la connectivité mobile et l’identité numérique. Dans des pays où la densité d’agences reste limitée, cette architecture se révèle un canal privilégié pour habituer une population majoritairement jeune à l’épargne formelle. La Centrafrique, qui ambitionne d’atteindre 35 % de taux de bancarisation d’ici 2028, verrait ainsi son objectif soutenu par un partenaire à la fois banque et fintech.
Réactions prudentes mais positives des régulateurs
Du côté de la BEAC, la tonalité est à la vigilance raisonnée. Un haut responsable souligne que « l’implantation d’un nouvel acteur systémique exige un travail d’adaptation des ratios prudentiels et de la surveillance consolidée ». Cela étant, la banque centrale note que la diversification du secteur est un préalable à la baisse structurelle des taux, condition sine qua non pour que les investissements productifs prennent le relais de l’aide internationale. Les autorités de Bangui, pour leur part, voient dans l’arrivée d’UBA une opportunité de renforcer leurs capacités de mobilisation fiscale, la plupart des transactions économiques pouvant désormais transiter par les circuits bancaires officiels.
Un effet d’entraînement attendu sur l’intégration régionale
L’expérience congolaise est souvent citée en référence. À Brazzaville, la collaboration entre UBA, les opérateurs télécoms et les ministères sectoriels a permis de lancer des produits de micro-épargne à destination des producteurs de cacao du Niari, illustrant la portée inclusive de solutions bancaires adaptées. En s’appuyant sur les corridors fluviaux et routiers partagés, Bangui pourrait importer ces innovations et, à terme, exporter ses propres savoir-faire, qu’il s’agisse de financement de la filière bois ou de mécanismes de couverture des risques liés à l’orpaillage artisanal.
Une fenêtre ouverte sur 2025
Le calendrier politique offre, enfin, un alignement propice : la Centrafrique accueillera en 2025 le Caucus Africain, plate-forme de dialogue entre gouverneurs africains et institutions multilatérales. La présence d’UBA, institution financière reconnue par les bailleurs de fonds, constituerait un atout diplomatique. Elle pourrait aussi servir de modèle aux autres États encore dépourvus de banques panafricaines, contribuant ainsi à un renforcement collectif de la souveraineté financière régionale.