Des normes coutumières au droit positif : un chemin semé d’embûches
La scène se répète dans les zones rurales du Pool ou du Kasaï : à la mort du mari, la belle-famille s’approprie maison, terres et cheptel, invitant parfois la veuve à « regagner la concession paternelle ». Si le Code de la famille congolais révisé en 2022 reconnaît explicitement aux épouses survivantes un droit à la moitié des biens communs, les usages lignagers, mâtinés de considérations patrimoniales, résistent avec une vigueur peu surprenante aux yeux des anthropologues. Le conflit entre droit écrit et coutume se joue moins dans les tribunaux – souvent éloignés, coûteux ou redoutés – que dans les cours familiales, où la négociation, quand elle existe, se déploie sous une forte asymétrie de pouvoir. Ainsi, l’égalité théorique se heurte à la permanence d’un ordre terrien patriarcal consolidé par la rareté des titres fonciers formels, conditionnant l’accès au crédit et à la sécurité alimentaire.
La diplomatie des droits des femmes et les obligations internationales
Dans les couloirs climatisés de New York, la délégation congolaise réaffirme régulièrement son attachement à la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes. Les rapports périodiques produits pour le Comité CEDAW soulignent des avancées légales, tout en concédant « une mise en œuvre contrastée en milieu rural ». Sous l’impulsion de l’Union africaine, la République du Congo a par ailleurs signé le Protocole de Maputo, ouvrant la voie à une harmonisation supranationale des normes successorales. Pour certains diplomates européens, ce dossier constitue un indicateur des engagements plus larges du pays en matière de gouvernance. « Le traitement des veuves devient une variable du risque pays et un baromètre du climat des affaires », observe un analyste de la Banque mondiale, rappelant que l’insécurité foncière féminine freine les investissements agricoles (Banque mondiale 2023).
État des lieux des réformes législatives à Brazzaville et Kinshasa
Le Parlement de Brazzaville a adopté en décembre dernier un amendement crucial : la suppression de l’autorisation tuteuriale pour la vente d’un bien hérité par une veuve. Cette évolution, saluée par l’ONG locale Azur Développement, s’inscrit dans une séquence plus large de modernisation du droit de la famille. De l’autre côté du fleuve, la RDC a, elle, consacré le principe de la communauté réduite aux acquêts, mais le décret d’application tarde, faute de circulaires budgétisées formant les officiers de l’état civil. Pour les cabinets internationaux, cette latence crée un climat d’incertitude contractuelle qui dissuade l’enregistrement des terres par les femmes, lesquelles restent majoritairement cantonnées aux parcelles informelles. D’après ONU Femmes, à peine 12 % des ménages ruraux sont codétenteurs d’un titre foncier au nom des deux conjoints (ONU Femmes 2023).
Les organisations de la société civile, laboratoires de l’équité successorale
À Pointe-Noire, le programme « Héritière et citoyenne » forme des para-juristes capables d’initier une médiation avant saisie du tribunal. « Nous combinons pédagogie juridique et cartographie participative pour documenter l’usage des sols par les veuves », explique Clémence Bongo, coordinatrice du projet, soulignant que les certificats communautaires valent parfois plus, dans les faits, qu’un jugement introuvable. De leurs côtés, Caritas Congo et l’UNFPA testent des fonds rotatifs où la mise en gage d’un lopin reconnu confère accès à un micro-crédit. Ces dispositifs, modestes mais répétés, créent un effet de jurisprudence sociale qui alimente la pression sur les préfets appelés à délivrer les attestations coutumières. La diplomatie des bailleurs lie désormais le versement de certaines lignes budgétaires à des indicateurs d’accès des femmes au foncier, rendant les autorités locales plus réceptives à la rhétorique égalitaire.
Au-delà de l’héritage : implications socio-économiques et stabilité politique
Dans un contexte où près de 65 % de la production vivrière est assurée par les femmes, l’exclusion successorale accroît la vulnérabilité alimentaire et alimente l’exode vers les villes saturées. Les veuves sans terre se retrouvent sur les marchés informels, souvent tributaires de réseaux de crédit usuriers, fragilisant la cohésion sociale déjà éprouvée par les soubresauts sécuritaires dans l’Est. Pour les chancelleries occidentales, faciliter l’accès des femmes à l’héritage apparaît comme un moyen indirect de prévenir les migrations irrégulières et la radicalisation des jeunes désœuvrés. La Commission de l’Union européenne, qui prépare son nouveau programme indicatif national, envisage d’inscrire la sécurisation foncière féminine comme objectif transversal. La lutte pour l’héritage devient donc, à l’échelle diplomatique, une pièce d’un jeu plus large où se croisent sécurité, développement et légitimité étatique. La manière dont Brazzaville et Kinshasa relèveront ce défi servira de test grandeur nature pour mesurer leur capacité à transformer le droit en levier de stabilité durable.