Un dispositif municipal inédit
Le 3 avril dernier, la mairie de Brazzaville a officialisé, par un arrêté dont la teneur a rapidement circulé dans les syndicats de transporteurs, la création d’une “carte d’identification et d’immatriculation” propre à l’espace urbain de la capitale. Fixé à 25 000 francs CFA par véhicule, ce nouveau titre se veut, selon l’hôtel de ville, un outil de « rationalisation du parc roulant, de lutte contre l’insécurité et d’amélioration des recettes locales ». La démarche s’inscrit, selon les services techniques, dans la droite ligne de la stratégie de modernisation de la mobilité urbaine voulue par le Plan national de développement 2022-2026, porté par le président Denis Sassou Nguesso, et dont les collectivités territoriales sont invitées à décliner les volets pratiques.
Concurrences réglementaires et défis institutionnels
Cette initiative municipale intervient pourtant dans un paysage déjà balisé par un décret présidentiel de 2019 qui institue la carte nationale de transporteur pour l’ensemble des professionnels du secteur. Le chevauchement apparent entre le titre national et la carte municipale alimente, depuis quelques jours, un débat feutré chez les propriétaires de bus et de taxis-collectifs. « Nous ne contestons pas le principe d’un meilleur encadrement, mais nous devons éviter la sur-taxation », confie un responsable du Syndicat des transporteurs urbains, rappelant qu’une partie du parc a déjà investi dans la carte nationale au tarif de 15 000 francs. Du côté des juristes publics, on souligne que la Constitution confère aux communes une compétence fiscale résiduelle, sous réserve de compatibilité avec la législation nationale, et qu’une concertation formelle pourrait venir lever toute ambigüité.
Les attentes des transporteurs et la parole des experts
Dans les gares routières de Diata ou de Marché Total, la nouvelle a fait l’effet d’un « choc de procédure ». Les chauffeurs, déjà soumis à la patente, au contrôle technique semestriel et à l’assurance obligatoire, s’interrogent sur la valeur ajoutée d’un document supplémentaire. Le sociologue Pierre-Emmanuel Ibara, spécialiste des politiques de mobilité, invite à replacer la décision dans une perspective de gouvernance de proximité : « Les villes africaines cherchent à asseoir leurs ressources propres afin d’améliorer le service public ; l’enjeu est de démontrer la contre-partie concrète offerte à ceux qui s’acquittent de la taxe. » Selon lui, la visibilité des recettes – par exemple la rénovation d’abribus ou la mise en place de couloirs réservés – constitue le meilleur antidote contre la suspicion.
Vers une harmonisation nationale-municipale
Face aux premières interpellations, l’exécutif local s’est voulu rassurant. Dans une allocution au conseil départemental et municipal, le maire de Brazzaville, Dieudonné Bantsimba, a indiqué que « des discussions techniques sont en cours avec le ministère des Transports pour une interopérabilité des bases de données ». L’idée serait de reconnaître mutuellement les deux cartes, l’une tenant lieu de sésame pour l’ensemble du territoire, l’autre donnant accès à des facilités ou à des exonérations ciblées sur le périmètre urbain. Cette approche graduée reflète la doctrine de subsidiarité défendue par plusieurs économistes du développement, qui préconisent de laisser aux autorités de proximité la faculté d’innover tout en respectant un cadre national cohérent.
Impact socio-économique attendu
Au-delà du strict domaine fiscal, la carte municipale pourrait jouer un rôle dans la formalisation d’un secteur encore marqué par la prédominance de l’informel. L’enregistrement nominatif des conducteurs faciliterait la traçabilité en cas d’incident, tandis que la géolocalisation progressive des plaques immatriculées contribuerait à sécuriser le transport des usagers. Sur le plan macro-économique, le Trésor municipal table sur une recette annuelle de l’ordre de 500 millions de francs, susceptible de financer des projets de voirie secondaire ou de feux tricolores intelligents. « Le transport public est le poumon de l’activité métropolitaine ; investir dans sa régulation, c’est soutenir la croissance urbaine », avance une note interne de la direction générale de l’Économie.
Lecture citoyenne et gouvernance participative
La sociologie des mobilités rappelle toutefois que l’acceptabilité d’une mesure fiscale dépend du degré de participation des acteurs concernés. Des associations d’usagers, telles que Brazzaville Mobilité Durable, plaident pour des forums de dialogue réunissant municipalité, chauffeurs et représentants de quartiers périphériques. Elles soulignent qu’un recensement transparent, réalisé en concertation avec les organisations professionnelles, pourrait atténuer les inquiétudes et transformer la taxe en levier de responsabilisation collective. « Nous sommes prêts à jouer le jeu si nous voyons des retombées visibles », résume un chauffeur de taxi, témoignant d’un pragmatisme largement partagé dans la profession.
Cap sur une mobilité modernisée
Dans un contexte où les grandes capitales du continent se mettent au diapason des Objectifs de développement durable, la décision brazzavilloise apparaît moins comme une anomalie que comme une étape expérimentale. Le ministère des Transports, rappelant la priorité accordée par le chef de l’État à l’émergence d’un « Congo moderne et connecté », a salué la volonté d’innovation tout en encourageant « une synergie des normes pour éviter la surenchère documentaire ». En définitive, la mise en œuvre harmonisée des deux cartes pourrait faire de Brazzaville un laboratoire de gouvernance partagée, où la fiscalité locale se conjugue avec la stratégie nationale, au bénéfice d’une mobilité plus sûre et plus performante.