Le nouveau décret sur les taxis motos et sa portée juridique
À Brazzaville comme à Pointe-Noire, l’annonce a retenti le 12 juin dernier : désormais, seuls les ressortissants congolais sont autorisés à conduire des taxis motos sur l’ensemble du territoire national. Le décret, signé par le ministre des Transports, des Voies de communication et de l’Aviation civile, s’inscrit dans la continuité de la loi portant code de la route révisée en 2022. Il clarifie une zone grise jusque-là exploitée par des conducteurs originaires d’Afrique de l’Ouest ou des Grands Lacs, venus profiter d’un secteur en forte demande. Dans le texte, l’interdiction est formulée sans ambiguïté : « L’activité de transport public de personnes par motocyclette est réservée aux seuls citoyens congolais titulaires d’un permis adapté et d’une carte professionnelle. »
Sécuriser l’espace urbain et structurer un secteur florissant
Le gouvernement justifie cette décision par un impératif de sécurité routière. Selon la Commission nationale de la sécurité routière, les taxis motos étaient impliqués dans plus d’un tiers des accidents urbains en 2023, un chiffre en hausse de 12 % sur un an. Pour le colonel Florent Okemba, directeur de la police routière, « l’identification précise des conducteurs facilitera la traçabilité en cas de délit de fuite et dissuadera la conduite sans permis ».
Au-delà de l’argument sécuritaire, l’exécutif entend formaliser un secteur encore largement informel. Le ministère évoque près de 45 000 mototaxis en service, dont la moitié seulement disposeraient d’une licence municipale. Les autorités locales y voient un manque à gagner fiscal estimé à 3 milliards de francs CFA par an. En réservant l’activité aux nationaux, l’État espère inciter les conducteurs à se faire enregistrer, à cotiser aux régimes de sécurité sociale naissants et à renouveler un parc vieillissant, importé majoritairement de l’étranger via des circuits parallèles.
Entre souveraineté économique et régulation migratoire
Sur le plan socio-économique, la mesure relève d’une politique de préférence nationale assumée. Pour l’économiste Gisèle Itoua, « le mototaxi représente une porte d’entrée rapide vers l’auto-emploi pour une jeunesse frappée par un chômage urbain de 22 %. Limiter la concurrence exogène répond à une tension sur le marché du travail, tout en renforçant le pouvoir d’achat local ».
La dimension migratoire n’est pas absente de l’équation. Les flux de travailleurs transfrontaliers, principalement originaires de la RDC voisine, sont depuis plusieurs années au centre des débats. Le ministère de l’Intérieur rappelle que « l’exercice d’une activité réglementée sans titre de séjour approprié expose à des sanctions ». La décision s’inscrit ainsi dans un mouvement régional de contrôle des professions de contact, déjà observé au Gabon et en Angola.
Réactions des acteurs et témoignages de terrain
Si les syndicats congolais saluent une « reconquête économique », les conducteurs étrangers pointent un risque « d’exclusion brutale ». Issa Diallo, Sénégalais installé depuis cinq ans à Brazzaville, confie qu’il a « investi l’équivalent de 900 000 francs CFA dans une moto encore non amortie ». Les autorités rassurent : une période transitoire de trois mois est prévue pour la revente ou la reconversion.
Du côté des usagers, le sentiment oscille entre compréhension et crainte d’une hausse tarifaire. Rosalie Mankessi, fonctionnaire, redoute une « augmentation des prix aux heures de pointe si l’offre se resserre ». Le ministère répond en évoquant un futur encadrement des tarifs au kilomètre, actuellement laissés à la négociation directe.
Perspectives de professionnalisation et d’intégration régionale
À moyen terme, le gouvernement envisage d’intégrer les mototaxis dans le Schéma directeur des transports urbains, aux côtés des bus publics rénovés. Un fonds de modernisation, abondé par les recettes issues des nouvelles licences, doit financer des formations en conduite défensive et en maintenance mécanique, ainsi qu’un programme pilote de motos électriques dans les arrondissements centraux.
Sur le plan diplomatique, Brazzaville insiste sur le respect de ses engagements communautaires. L’interdiction n’affecte pas la liberté de circulation garantie par la CEEAC, souligne le ministère des Affaires étrangères, puisqu’« elle ne concerne que l’exercice d’une activité professionnelle réglementée ». Des consultations bilatérales sont néanmoins en cours avec Kinshasa afin de faciliter l’obtention de cartes professionnelles pour les ressortissants de la RDC disposant déjà d’un permis de séjour.
En filigrane, l’enjeu est de transformer cette restriction en levier de formalisation. Le défi consistera à concilier, dans les mois à venir, la légitime aspiration des jeunes Congolais à occuper un segment porteur et la nécessité de maintenir une offre de mobilité accessible dans des villes en pleine expansion démographique.