Naissance et racines à Enyellé
Le frêle rivage de l’Oubangui, dans le village d’Enyellé, a vu naître le 28 novembre 1951 un garçon promis aux embruns. Lucien Litingui grandit entre forêts et rivières, nourrissant d’instinct l’envie de découvrir l’horizon au-delà des eaux tranquilles de la Likouala qui lui semblent déjà porter ses rêves.
Son cursus primaire, mené avec régularité jusqu’au Certificat d’études primaires élémentaires, révèle un élève appliqué, attirant l’attention des autorités scolaires. L’admission au concours de l’École militaire préparatoire général Leclerc, le 1er octobre 1965, scelle l’entrée du jeune Enyellois dans la culture d’excellence martiale et ouvre des portes larges.
L’EMPGL creuset de la discipline
À l’EMPGL, matricule 758, promotion Commandant Lamy, Lucien apprend la rigueur du rang, la précision du geste et le sens aigu du collectif. Les enseignants témoignent d’un cadet studieux, aussi adroit aux manœuvres que passionné de cartographie, déjà fasciné par la navigation côtière et les sciences nautiques connexes.
Immersion dans la marine congolaise
Le 1er août 1972, il choisit la mer et s’engage volontairement comme combattant de 2e classe dans l’unité marine de la République du Congo. La décision surprend quelques camarades, mais elle traduit l’appel viscéral qu’exercent les courants atlantiques sur la nouvelle recrue désireuse de servir avec honneur maritime.
Formations stratégiques en URSS
À Bakou, puis à Leningrad, les salles de cours soviétiques lui offrent un bain technologique inattendu. Stabilité des coques, radars Doppler, calculs de tir : l’AET congolais assimile un savoir pointu qu’il rapportera patiemment à Pointe-Noire afin de moderniser les routines opérationnelles de la flotte de surface nationale.
Ascension dans les grades navals
Les galons suivent ce parcours sans faute. Enseigne de vaisseau de 2e classe en 1976, puis de 1re classe en 1978, il atteint le grade de lieutenant en 1982. Chaque nomination, souvent saluée par des fanfares restreintes, renforce son souci d’exemplarité devant les jeunes marins en formation continue.
Le 1er janvier 1987, la Marine nationale l’élève capitaine de corvette, avant de l’installer capitaine de frégate en 1991 et de vaisseau en 1993. Ces distinctions ne sont pas que symboliques ; elles le placent au cœur des états-majors, là où se décident les investissements et les priorités navales.
Commandements et modernisation côtière
Navigateur en 1976 sur patrouilleur côtier, il connaît la houle du large avant de s’installer, quinze ans plus tard, dans les couloirs feutrés du commandement. De juillet 1991 à septembre 1994, il assure le poste stratégique de chef d’état-major de la base navale 01 à Pointe-Noire avec retentissement.
Cette période correspond à l’effort de professionnalisation amorcé par les autorités congolaises pour sécuriser le golfe de Guinée. « Nous devions conjuguer diplomatie et dissuasion », se souvenait-il devant des cadets, rappelant l’importance de la coopération régionale dans une zone riche mais convoitée par diverses flottes et acteurs économiques étrangers.
Engagement associatif après la retraite
Après quarante-et-un ans de services, il quitte les ponts actifs le 31 décembre 2006. La retraite, loin d’être synonyme de silence, le voit s’impliquer dans l’Association des anciens enfants de troupe, accompagnant la relève et consolidant les liens intergénérationnels de l’armée congolaise et des familles des cadets entrants.
Rémy Ayayos Ikounga, président des AET, souligne alors « la disponibilité et l’écoute d’un grand frère qui connaissait chaque promotion ». Pour beaucoup, sa manière de relativiser les épreuves soudait l’association, faisant de chaque réunion un rappel des valeurs cardinales : loyauté, mérite, solidarité et service désintéressé pour la nation congolaise.
Derniers honneurs à Brazzaville
Le six novembre, le pavillon de la base logistique de Mpila a flotté en berne tandis que retentissait la sonnerie aux morts. Autour du cercueil drapé, anciens cadres, jeunes officiers et familles civiles ont partagé un instant de recueillement sobre, empreint d’immense respect pour le capitaine disparu hier.
Dans son oraison funèbre, Landry Nganga a revisité les grandes étapes d’une carrière « tissée de courage et de science ». Le récit, ponctué d’anecdotes nautiques, a rappelé qu’un leader se définit autant par son savoir-faire que par l’attention portée aux plus novices qui font tenir l’équipage dans la tempête.
Si l’on excepte les salves protocolaires, la cérémonie s’est déroulée sous un ton mesuré, signe d’une modestie qu’il cultivait. Plusieurs jeunes officiers ont déclaré vouloir emprunter la voie technicienne qu’il exemplifia, convaincus que moderniser les outils maritimes contribue à la souveraineté économique nationale et au rayonnement du Congo.
Héritage vivant au nord et sur mer
À Enyellé, la famille prépare l’inhumation, mêlant rites traditionnels et protocole des forces armées. Certains évoquent déjà l’idée d’un centre de documentation maritime à son nom. L’initiative, si elle voit le jour, prolongerait l’œuvre d’un passeur de connaissances et d’unité nationale, symbole pour les côtiers congolais futurs.
Le capitaine de vaisseau Lucien Litingui laisse derrière lui l’image d’un officier dont la loyauté et la compétence n’ont jamais vacillé. Sous le sillage du navire qu’il commande désormais par la mémoire, son héritage continue d’inspirer un pays tourné vers l’océan et la paix, durable et partagée collectivement.
