Un décret au cœur de la gouvernance des mobilités
Dans un pays où les dynamiques de mobilité conditionnent l’accès aux services essentiels autant que la vitalité du tissu économique, le décret n° 2024-324 du 9 juillet 2024 s’impose comme un marqueur de souveraineté publique. Son article 9, rappelé le 30 juin 2025 par le collectif des conducteurs de motos-taxis, stipule que l’exercice de la profession est « spécifiquement réservé aux personnes de nationalité congolaise ». Signé par quatre membres du gouvernement, dont le Premier ministre, le texte s’inscrit dans la logique d’une régulation assumée, destinée à maîtriser un secteur longtemps frappé d’interdiction avant d’être rouvert sous conditions. La symbolique est forte : l’État affirme sa capacité à organiser la cité et à protéger le marché domestique tout en répondant à une demande sociale pressante.
La préférence nationale et le marché du travail urbain
Alors que le taux de chômage des jeunes demeure l’une des préoccupations récurrentes des politiques publiques, la revendication d’une priorité donnée aux nationaux dans les métiers à faible barrière d’entrée trouve une résonance particulière. Le syndicaliste ayant ordonné, au siège du collectif, l’exclusion des responsables d’origine étrangère l’a exprimé en ces termes : « Nous n’avons aucun différend personnel ; nous appliquons la décision des autorités ». Au-delà du discours, l’enjeu socio-économique est clair : préserver l’accès à une source de revenus pour des milliers de Congolais en quête de débouchés immédiats. L’option de la préférence nationale, courante dans nombre d’économies émergentes, renvoie à la notion de « protection inclusive », laquelle vise à réduire les tensions sur le marché du travail tout en renforçant la cohésion sociale.
Entrepreneuriat juvénile et dynamiques socio-économiques
Depuis la levée partielle de l’interdiction en 2024, le transport par motocycles s’est imposé comme l’un des marqueurs de l’économie populaire congolaise. Les estimations syndicales font état d’environ 18 000 engins en circulation, majoritairement importés d’Asie. Pour les jeunes issus des périphéries urbaines ou des zones rurales, la moto-taxi représente un capital d’entrée relativement modeste, un revenu quasi quotidien et, partant, une forme d’autonomisation. La mesure gouvernementale vient donc consolider un secteur qui, selon plusieurs associations de développement local, contribue à réduire les migrations forcées vers l’informel pur et dur. L’État y voit également un levier de formalisation progressive : immatriculations, port de gilets réfléchissants et fiscalité adaptée constituent autant d’éléments susceptibles d’élargir l’assiette contributive.
Sécurité routière : données et stratégies d’atténuation
Si l’extension du parc de motos-taxis a généré un indéniable dynamisme économique, elle s’accompagne de défis sécuritaires. Les statistiques officielles font état de 12 564 accidents routiers en 2024, dont 3 708 impliquant des deux-roues, soit près de 30 %. Pour le ministère des Transports, cité lors d’une rencontre sectorielle le 22 juillet 2024, le nouveau cadre juridique doit également servir de tremplin à la professionnalisation des conducteurs, via des sessions de formation obligatoire et un contrôle technique renforcé. Des ONG spécialisées soulignent qu’une approche combinant éducation routière, amélioration de l’éclairage urbain et gratuité du casque pour les passagers pourrait réduire sensiblement la sinistralité.
Perspectives de régulation inclusive et développement durable
À moyen terme, la réussite de la politique repose sur un équilibre subtil entre ouverture économique et sécurisation des parcours professionnels. Plusieurs économistes notent que la posture protective n’exclut pas, à l’avenir, une flexibilité maîtrisée, notamment dans les segments du transport de fret léger où la main-d’œuvre pourrait s’avérer insuffisante. En filigrane, l’exigence environnementale gagne du terrain : le parc, actuellement dominé par des moteurs thermiques de petite cylindrée, devra s’orienter vers des technologies moins émettrices pour répondre aux engagements climatiques internationaux du Congo-Brazzaville. Le gouvernement a d’ailleurs évoqué l’éventualité d’un partenariat public-privé visant à introduire progressivement des motocycles électriques, gage supplémentaire d’attractivité pour les investisseurs étrangers tout en préservant la priorité accordée aux conducteurs nationaux.
Vers une intégration harmonieuse dans la planification urbaine
Enfin, l’insertion des motocycles dans la matrice de transport urbain suppose une coordination accrue avec les autorités municipales. Des projets pilotes de stations dédiées, assortis d’un système digital de géolocalisation, sont à l’étude dans la capitale afin de fluidifier le trafic et de mieux réguler les flux. Parce qu’il conjugue emploi, mobilité et innovation, le secteur de la moto-taxi cristallise désormais les attentes d’une jeunesse en quête de reconnaissance socio-professionnelle. Le décret 2024-324, en réaffirmant le rôle de l’État stratège, ouvre la voie à une modernisation qui, sous réserve d’un dialogue constant avec les parties prenantes, pourrait transformer durablement le visage des transports congolais.