Un rendez-vous littéraire animé à Brazzaville
On le dit discret, mais samedi 25 octobre 2025, Charles N’Kouanga a occupé toute la scène de la permanence des Anciens Enfants de Troupe du Congo, avenue de la Paix, à Brazzaville. Autour de lui, l’AET a ouvert sa traditionnelle rentrée du livre, entièrement centrée sur ses écrits.
Sous le thème énigmatique «2199 pages de Charles N’Kouanga», l’évènement a réuni critiques, poètes et amoureux des lettres, dont la directrice générale de l’Artisanat Emma Mireille Opa Elion et le président de la panafricaine des AET, Rémy Ayayos Ikounga, venus saluer une production littéraire déjà abondante.
Onze livres pour une voix singulière
De 2014 à 2025, l’ancien enfant de troupe a signé onze titres mêlant romans, nouvelles et recueils de poèmes. Réunis, ils totalisent précisément 2199 pages, chiffre qui sert désormais de marqueur à une œuvre où l’engagement social côtoie une écriture résolument lyrique.
L’AET a voulu donner à chaque livre sa respiration, combinant lectures, slam et débats. Le slameur Aristide J. Johnson, tout juste primé à Abidjan, a ponctué l’après-midi de rythmes cadencés, offrant un contrepoint musical aux analyses plus feutrées des critiques invités.
Le clochard, acte de naissance littéraire
Premier ouvrage disséqué, le recueil de nouvelles « Le clochard » a été présenté par l’écrivain Jessy Loemba. Selon lui, le texte, publié en 2014, inaugure le style de N’Kouanga, à mi-chemin entre la verve poétique et la narration serrée.
Le critique a souligné l’effet de surprise du titre, qui détourne le lecteur avant de l’entraîner dans l’altercation houleuse entre deux immigrés africains et un Français de souche. Cette tension, née d’un « congolisme », révèle déjà l’attention de l’auteur aux fractures identitaires.
L’intruse du Khalifat, miroir sociétal
Patherson Mouokaulho Itsissa s’est, lui, penché sur le roman « L’intruse du Khalifat ». Il y décèle un condensé de sujets d’actualité : radicalisation, usage du numérique, égalité de genre, changement climatique ou encore instrumentalisation de la foi, autant de thèmes abordés sans manichéisme.
À travers ce récit, argue-t-il, N’Kouanga cherche à « moraliser la société » tout en questionnant l’humain face aux périls. Pour Sauve Gérard Ngoma Malanda, journaliste et diplomate, ce roman apparaît même comme l’un des textes « les plus aboutis » de l’écrivain congolais.
Des vers pour dire le monde
Le Dr-écrivain Rosin Loemba a ouvert la porte de la poésie en parcourant « Hosties marlyques » et « Odes leyennes ». Il voit dans ces recueils une conscience lyrique capable de dénoncer l’injustice, d’interroger la mort et de célébrer, surtout, l’élan vital.
Le spécialiste souligne une grande diversité de formes et de thèmes, traduisant, selon lui, « l’immensité » de l’œuvre. L’auditoire, emporté par la lecture à voix haute des poèmes, a mesuré la souplesse d’une langue qui conjugue simplicité expressive et exigences rythmiques.
La parole de l’auteur
Invité à réagir, Charles N’Kouanga a rappelé son fil conducteur : faire refléter dans chaque page « la réalité du terrain et de la société ». L’ancien cadet se dit convaincu que l’écrivain ne peut se départir d’une responsabilité morale envers ses contemporains.
Son parcours d’« ancien enfant de troupe », rappelé par Rémy Ayayos Ikounga, éclaire cette posture. Le président de l’AET, ému, a souligné combien la discipline acquise au sein de l’école militaire préparatoire a nourri la rigueur d’une écriture qui impressionne encore aujourd’hui.
Brazzaville, place forte du débat littéraire
En donnant carte blanche à un seul auteur, la rentrée du livre de l’AET réaffirme la vitalité culturelle de Brazzaville. Dans la salle, étudiants, professeurs et membres de la diaspora ont dialogué sans hiérarchie, signe d’un désir partagé de comprendre les enjeux contemporains.
Pour les organisateurs, mettre en avant une plume congolaise participe aussi de la promotion du livre local et de l’économie de la culture. Plusieurs invités ont plaidé pour que les bibliothèques publiques et scolaires intègrent plus largement ces ouvrages afin de nourrir la lecture chez les jeunes.
Deux manuscrits déjà en gestation
Au-delà de ses onze titres, N’Kouanga a révélé travailler sur deux nouveaux ouvrages dont la parution est annoncée comme « imminente ». Il n’en a dévoilé ni le sujet ni l’éditeur, laissant entendre toutefois qu’ils poursuivront l’exploration éthique et humaniste amorcée depuis 2014.
Des applaudissements nourris ont clos la rencontre, tandis que les exemplaires se vendaient au rythme des dédicaces. En attendant ces prochaines sorties, le public repart avec la conviction que les 2199 pages parcourues ne représentent qu’une étape dans l’itinéraire d’un auteur en pleine ascension.
L’héritage de la formation militaire
L’Association des anciens enfants de troupe, créée pour préserver les valeurs inculquées dans les écoles militaires préparatoires, multiplie depuis plusieurs années les actions culturelles. Pour ses membres, la discipline apprise sous l’uniforme trouve un prolongement naturel dans le champ artistique et intellectuel.
Elle a ainsi organisé conférences historiques, expositions photographiques et soirées de poésie, avec l’idée que la culture consolide la cohésion et la paix sociale. La rentrée du livre s’inscrit dans ce calendrier, faisant de la permanence de Brazzaville un lieu où la mémoire militaire dialogue avec la création littéraire.
