Un rituel écologique devenu patrimoine
Quelques pelles, des seaux, un tapis vert de jeunes plants : la 39e Journée nationale de l’arbre a rassemblé, le 6 novembre, la haute administration congolaise autour du Premier ministre Anatole Collinet Makosso pour un geste hautement symbolique dans la réserve de la Patte d’Oie.
Sur 2,5 hectares, près de 2700 jeunes arbres ont été mis en terre, mélange d’essences locales et exotiques sélectionnées pour redensifier un couvert forestier fragilisé par plusieurs décennies d’urbanisation rapide et d’occupations illégales.
L’initiative traduit, selon le chef du gouvernement, la volonté de placer le Congo-Brazzaville au cœur de la Décennie des Nations unies pour le boisement et le reboisement, portée par le président Denis Sassou Nguesso et entérinée récemment à l’Assemblée générale.
Instituée par la loi de 1984, cette journée rappelle chaque année que la forêt est une infrastructure vitale, au même titre que les routes ou l’école. Le rituel du planting, loin d’être folklorique, entend ancrer l’idée qu’un arbre est un investissement public.
La Patte d’Oie face aux pressions urbaines
Créée en 1938, la Patte d’Oie s’étendait alors sur 240 hectares, dessinant un arc végétal au sud-ouest de Brazzaville. Aujourd’hui, les relevés officiels n’en comptent plus que 94,55 hectares, soit moins de 40 % de la surface d’origine.
Le recul s’explique par l’urbanisation informelle, les marchés spontanés, mais aussi les feux de brousse qui, chaque saison sèche, dévorent des bandes entières de sous-bois. Le Premier ministre a dénoncé un « incivisme » qui transforme un patrimoine collectif en lots privés.
Le ministère de l’Économie forestière évalue à plusieurs dizaines de millions de francs CFA les dommages écologiques et les coûts de restauration. Au-delà des chiffres, c’est l’effet d’îlot de chaleur urbain que redoute la population, déjà exposée à des températures records.
En réponse, les autorités promettent une surveillance accrue, avec drones de la gendarmerie forestière et sanctions contre les lotissements illicites. Les organisations de quartier, elles, plaident pour des titres de gestion participative afin d’associer riverains et écoles aux rondes de protection.
Des essences choisies pour la résilience
Les pépiniéristes du Programme national d’afforestation ont retenu douze espèces, parmi lesquelles Acacia senegal et Autranella congolensis. Leur croissance rapide ou leur valeur écologique, parfois les deux, doit consolider la biodiversité du site tout en offrant un rideau végétal contre la poussière.
Les plants sont disposés selon trois interlignes – 3 m, 6 m, 9 m – créant des microzones. Les espaces plus larges accueilleront, dans un second temps, des allées pédagogiques et des bancs, car la forêt urbaine n’est jugée durable que si elle est fréquentée.
« Nous voulons rappeler que planter n’est pas suffisant », insiste François Mankeni, coordonnateur du programme. « Il faut entretenir, arroser, surveiller. » Il assure que des comités locaux suivront la croissance des jeunes tiges pour éviter le taux de mortalité élevé observé lors de certaines campagnes.
Le choix du baobab, symbole de résistance, vise aussi l’éducation écologique. Son port majestueux, visible depuis l’avenue Matsoua, rappellera aux citadins que la capitale peut concilier identité urbaine et patrimoine forestier, expliquent les ingénieurs des Eaux et Forêts.
Diplomatie verte et engagements climatiques
Le Congo-Brazzaville abrite déjà la Commission climat du Bassin du Congo, pionnière dans la coordination des politiques forestières régionales. La nouvelle Décennie du boisement, arrachée à New York en septembre, élargit cette diplomatie environnementale en invitant tous les États à des engagements chiffrés.
Pour Brazzaville, la restauration de la Patte d’Oie sert de vitrine domestique à cette ambition. Montrer qu’une forêt urbaine peut renaître malgré la pression foncière est présenté comme un argument de crédibilité, alors que les partenaires techniques réclament des preuves tangibles de mise en œuvre.
Le Premier ministre souligne, par ailleurs, la contribution des puits de carbone urbains à l’atteinte des objectifs de la COP28. Chaque plant, affirme-t-il, compensera à terme plusieurs kilogrammes de CO2, un atout précieux face à l’augmentation annoncée du parc automobile.
Citoyens, écoles : bâtir l’avenir forestier
Au-delà des discours, le gouvernement exhorte les habitants de Brazzaville à adopter un arbre et à signaler toute tentative de déboisement. Des QR codes seront prochainement apposés sur les piquets pour géolocaliser chaque plant, une première dans la gestion participative des espaces verts.
Les écoles primaires voisines intégreront la réserve à leurs cours de sciences. Des parcours didactiques expliqueront la photosynthèse, la faune et l’histoire du site. L’objectif, répètent les responsables, est de former une génération consciente que la forêt urbaine est un bien commun fragile.
Après la cérémonie, un arrosage manuel a été organisé, illustrant le suivi immédiat. Le ministère annonce un bilan à six mois pour évaluer le taux de reprise des plantules. Si l’expérience réussit, le modèle sera répliqué dans d’autres poches vertes de la capitale.
La 39e Journée nationale de l’arbre se referme donc sur un engagement renouvelé : rendre à la Patte d’Oie son rôle de poumon, et, au-delà, inscrire Brazzaville dans la cartographie mondiale des villes résilientes. L’arbre planté devient alors un marqueur de fierté partagée.
