Une concertation inédite pour un nouveau pacte académique
Sous les lambris du Centre international de Conférences de Brazzaville, la première ministre Anatole Collinet Makosso a ouvert, le 30 juin, des assises consacrées à l’adéquation entre formation universitaire et marché du travail. Devant une assistance mêlant étudiants, responsables d’établissements et décideurs publics, le chef du gouvernement a appelé à « combler le fossé qui existe encore entre formation et exigence du marché » (déclaration du 30 juin). En plaçant cette problématique au sommet de l’agenda national, l’exécutif entend traduire en actes une volonté affichée lors des derniers états généraux de l’éducation : faire de l’université un moteur de développement, non un simple pourvoyeur de diplômes.
La professionnalisation comme fil rouge des réformes
La ministre de l’Enseignement supérieur, le Pr Delphine Edith Emmanuel, a rappelé que la société congolaise, en pleine mutation démographique et technologique, exige des cursus « axés sur la professionnalisation des formations, intégrant de nouveaux référentiels ». Le constat est partagé par de nombreux recteurs : si le taux de scolarisation post-secondaire progresse, l’insertion demeure heurtée, faute de cohérence entre compétences acquises et secteurs porteurs. L’objectif affiché est double : adapter les maquettes pédagogiques aux chaînes de valeur prioritaires (agro-industrie, économie numérique, énergies vertes) et insérer, dès la licence, des séquences d’apprentissage par projet ou par alternance.
Cette orientation renvoie à une vision holistique du capital humain. La qualité des enseignements, l’ingénierie pédagogique et l’évaluation par compétences doivent converger pour renforcer l’employabilité immédiate, sans sacrifier la capacité d’apprentissage continu. Dans l’esprit des décideurs, professionnaliser ne signifie pas réduire l’université à une simple antichambre de l’entreprise, mais doter les étudiants d’un socle de savoirs critiques arrimé à des savoir-faire directement mobilisables.
Le secteur privé, un partenaire stratégique désormais incontournable
En invitant l’Union patronale et interprofessionnelle du Congo à la tribune, le gouvernement souligne que l’employabilité ne relève plus du seul ministère. Pour la secrétaire générale du patronat, Nancy Chenard, « le secteur privé est prêt à co-construire des programmes adaptés aux besoins de l’économie ». Les grandes entreprises extractives, les banques mais aussi les PME émergentes ont confirmé leur disposition à ouvrir leurs ateliers, laboratoires ou incubateurs. Cette démarche participative vient rompre avec une tradition de cloisonnement : l’alternance devenir la norme et non l’exception.
Au-delà de l’accueil de stagiaires, les organisations professionnelles se sont engagées à fournir des cartographies de métiers d’avenir et des taux d’insertion sectoriels fiables. Ce flux d’informations constitue un instrument de pilotage pour les universités, qui pourront réviser plus rapidement leurs programmes. La relation gagnant-gagnant se manifeste également par l’objectif de retenir les meilleurs talents sur le territoire, réduisant une fuite des compétences vers les places financières ouest-africaines.
Le soutien des partenaires multilatéraux, catalyseur de mutation
L’Unesco, représentée par Fatoumata Marega, a salué l’initiative nationale en rappelant qu’elle résulte directement des conclusions des états généraux de l’éducation. L’organisation onusienne plaide pour une bascule culturelle : passer d’une logique de fonctionnariat à une culture de l’entrepreneuriat. Son appui technique portera sur la mise en place d’observatoires de l’insertion et sur l’accompagnement des universités dans l’obtention d’accréditations internationales. D’autres bailleurs, tels que la Banque africaine de développement, suivent avec intérêt les avancées, la diversification économique du Congo dépendant étroitement de la qualité de ses ingénieurs, juristes ou spécialistes du numérique.
La parole étudiante, baromètre de l’efficacité attendue
Chérubin Ibara, président de l’Union des élèves et étudiants du Congo, a salué l’espace de dialogue ouvert tout en demandant qu’il ne soit « pas un point final mais un point de départ ». Les jeunes participants ont souligné la nécessité d’une transparence totale sur les indicateurs d’insertion, ainsi qu’un accès élargi aux financements d’amorçage pour transformer leurs projets en entreprises tangibles. À travers leurs interventions, se dessine une génération prête à sortir de la demande exclusive d’emploi public, à condition que le cadre règlementaire – notamment en matière d’allègement fiscal pour les start-up – suive les ambitions affichées.
Des perspectives prudentes mais résolument optimistes
En moins de deux journées d’échanges, les assises ont posé les bases conceptuelles d’un nouveau contrat social universitaire : professionnalisation, partenariats industriels et soutien à l’initiative privée. La trajectoire reste exigeante ; elle suppose un financement pérenne, une gouvernance universitaire rénovée et une évaluation régulière des réformes. Cependant, la convergence de volontés politiques, patronales et estudiantines crée une fenêtre d’opportunité rare. En veillant à la mise en œuvre effective des engagements, Brazzaville pourrait, dans les prochaines années, faire de ses campus des incubateurs de talents capables d’irriguer tous les secteurs de l’économie nationale.