Brazzaville donne le tempo francophone des affaires
En accueillant la Rencontre des Entrepreneurs Francophones le 26 juin 2025, Brazzaville a présenté un visage résolument tourné vers l’international. Plus de trois mille décideurs, diplomates et capitaines d’industrie ont convergé vers la capitale congolaise pour débattre du rôle de la francophonie économique dans un monde recomposé. C’est dans cette atmosphère feutrée, où le networking côtoyait la diplomatie économique, qu’Africa Global Logistics (AGL) a choisi d’annoncer l’amplification d’un programme d’investissements frôlant désormais le milliard d’euros au port en eau profonde de Pointe-Noire pour la période 2009-2027 (Journal de Brazza, 26 juin 2025).
Le port de Pointe-Noire, matrice logistique sous-régionale
Carrefour nautique naturel adossé à l’Atlantique, Pointe-Noire s’est imposée comme la tête de pont des échanges de l’Afrique centrale. Bénéficiant d’un tirant d’eau rare sur la façade ouest, le site concentre déjà plus de 90 % du trafic maritime du Congo. Le concessionnaire Congo Terminal, filiale d’AGL, a graduellement modernisé les infrastructures : réhabilitation des terre-pleins, allongement des appontements et installation de portiques post-Panamax. Résultat : le volume traité est passé de 200 000 EVP en 2009 à plus d’un million sur chacun des trois derniers exercices, faisant du complexe l’un des terminaux à la croissance la plus vive du continent.
Un milliard d’euros : lecture d’un chiffre stratégique
Le saut quantitatif n’est pas qu’un effet d’annonce. L’enveloppe consolidée couvre à la fois les travaux du Môle Est – un quai de 750 mètres à 17 mètres de profondeur avec aire de manutention de 30 hectares – et l’acquisition de grues capables de hisser les mégamax de dernière génération. Selon Philippe Labonne, président-directeur général d’AGL, cette massification des capacités portuaires permettra d’améliorer la connectivité, de densifier les rotations maritimes et de réduire les coûts logistiques structurels, soutenant implicitement la compétitivité des exportateurs congolais de bois, de manganèse ou de produits agro-industriels.
Effets d’entraînement sur l’emploi et la formation
Le projet génère déjà un impact socio-économique tangible. Aux 1 600 emplois directs actuels des trois filiales congolaises d’AGL s’ajouteront 900 postes permanents au démarrage du nouveau terminal. Au-delà des chiffres, le groupe met en avant des programmes de bourses techniques et un partenariat avec l’Institut national du bâtiment et des travaux publics, destinés à ancrer localement les compétences de pilotage de grues télé-opérées ou de maintenance électromécanique. Les autorités congolaises voient dans cette montée en gamme des ressources humaines un levier stratégique pour retenir la jeunesse qualifiée sur le tissu productif national.
Un hub au service de la Zone de libre-échange continentale
L’entrée en vigueur progressive de la ZLECAf reconfigure les cartes routières, ferroviaires et maritimes. Dans cette perspective, Pointe-Noire aspire à devenir la porte atlantique des corridors qui irrigueront le bassin du Congo et, plus au nord, le Tchad ou la Centrafrique. Les flux intrarégionaux demeurent aujourd’hui inférieurs à 15 % des échanges totaux du continent (Banque africaine de développement, 2024). En amplifiant les capacités logistiques, la plateforme portuaire fait le pari d’inverser cette statistique, positionnant le Congo en pivot d’un commerce africain en pleine intensification.
Équilibre public-privé et gouvernance portuaire
L’architecture contractuelle qui lie l’État congolais et le concessionnaire repose sur un modèle de partenariat public-privé éprouvé. Les autorités gardent le contrôle régalien des accès maritimes et de la sûreté tandis que l’opérateur supporte le risque commercial et technique. Pour les bailleurs internationaux, cette répartition des responsabilités renforce la bancabilité des projets complémentaires – dragage, zones logistiques intérieures, embranchements ferroviaires – et assure une continuité de service, critère déterminant pour les armateurs.
Perspective environnementale et résilience côtière
La montée en puissance des flux pose la question de la soutenabilité. AGL a inscrit un volet de 25 millions d’euros dédié à l’efficacité énergétique : électrification partielle des engins, modernisation du parc de remorqueurs et installation de bornes d’alimentation à quai pour réduire les émissions lors des escales. Parallèlement, un programme de stabilisation du littoral par digues submersibles est étudié avec les services du ministère de l’Environnement afin de préserver les mangroves voisines, capital naturel essentiel à la pêche artisanale.
Regards croisés de diplomates et d’économistes
Pour l’ambassadeur de l’Union européenne à Brazzaville, présent lors de la REF, « l’engagement d’AGL illustre le potentiel d’un capital patient cherchant un rendement certes financier, mais également sociétal ». Les économistes du Centre d’études prospectives d’Afrique centrale estiment que chaque point de croissance supplémentaire du trafic portuaire pourrait ajouter 0,4 point de PIB national à horizon 2030, en cascade sur le commerce, la fiscalité et le marché du travail. Dans un contexte où la diversification au-delà des hydrocarbures demeure la priorité de la feuille de route gouvernementale, l’initiative privée apparaît comme un complément pragmatique aux politiques publiques.
Vers 2027 : horizon d’opportunités
À moins de deux ans de la mise en service du Môle Est, les indicateurs convergent vers une consolidation du rôle du Congo comme nœud logistique de l’Atlantique centre-ouest. Les compagnies maritimes scrutent déjà les fenêtres d’escale, tandis que les chargeurs régionaux réévaluent leurs chaînes d’approvisionnement. Si les tendances actuelles se confirment, le cap symbolique du million et demi d’EVP pourrait être atteint dès 2028. Dans un environnement où la confiance se nourrit de signaux concrets, la trajectoire suivie par Pointe-Noire renforce l’attractivité du Congo et, au-delà, réaffirme la place de l’Afrique centrale sur la carte des grands flux maritimes mondiaux.